La création d’articles Wikipédia concernant des géographes féministes est marquée par une double contrainte d’écrire à la fois sur des femmes, qui souffrent d’un biais de représentation dans l’histoire des sciences et dans Wikipédia, et sur des savoirs critiques, qui peuvent être perçus comme n’étant pas neutres et objectifs. Les pages en question s’exposent ainsi à une difficile admissibilité ou à des suppressions.
Organisation féministe et sources
Les géographes féministes constituent cependant aussi des communautés et réseaux qui produisent leurs propres sources. Elles créent par exemple le groupe Geographic Perspectives on Women au sein de l’American Association of Geographers, le groupe de recherche sur les femmes et la géographie de la Royal Geographical Society ou encore le groupe Genre et Géographie de l’Union Géographique Internationale (UGI).
Ces communautés sont à l’origine de prix (le prix Isabel André au Portugal et les prix Janice Monk Service Award et Susan Hanson Dissertation Proposal Award de l’American Association of Geographers), de revues scientifiques (spécifiques à la géographie comme la Revista Latino-americana de Geografia e Gênero et Gender, Place & Culture, ou plus générales comme Genre, sexualité & société et Les Cahiers du Grif), et d’ouvrages de référence avec dès 1984 la publication de Geography and Gender: An Introduction to Feminist Geography.
Multiplicité de la géographie féministe
Ces sources (entre autres) ont permis la création de dizaines de pages de géographes féministes sur Wikipédia en français, recensées sur la page Géographie du genre. Cette géographie féministe est multiple, nous n’en présentons que quelques facettes et figures.
Pionnières et théoriciennes
On trouvera parmi elles des pionnières et théoriciennes :
Jacqueline Coutras, avec Jeanne Fagnani, en France. Elles réalisent des travaux de géographie féministe, dès la fin des années 1970, à travers la question des transports.
Janice Monk et Susan Hanson aux Etats-Unis. En 1982, elles publient un article intitulé « On Not Excluding Half of the Human in Human Geography » dans la revue The Professional Geographer, destiné à faire connaître les contributions substantielles des femmes dans la géographie.
Linda McDowell au Royaume-Uni. Elle participe à la rédaction, à la coordination et à l’édition du livre de synthèse de géographie féministe, Geography and Gender: An Introduction to Feminist Geography, publié en 1984.
Maria Dolors García Ramón en Espagne. La géographie féministe espagnole naît sous son impulsion (sa page Wikipédia française ne rend d’ailleurs pas vraiment justice à l’importance de sa carrière : à compléter !).
Isabel Margarida André au Portugal. Elle soutient une thèse sur les relations de genre et patriarcales dans l’emploi et le travail domestique en 1994.
Gillian Rose au Royaume-Uni. Elle articule la géographie féministe, l’étude des cultures visuelles et l’analyse des savoirs géographiques. Elle est l’autrice du livre Feminism and Geography: The Limits of Geographical Knowledge publié en 1993 qui met en cause le caractère masculin de la géographie.
Doreen Massey au Royaume-Uni. Récipiendaire du Prix Vautrin-Lud du Festival international de géographie en 1998, ses recherches intègrent progressivement le post-colonialisme et le féminisme. Son livre Space, Place and Gender et son article « Flexible Sexism » opposent ainsi une relecture féministe aux travaux d’Edward Soja et de David Harvey.

Doreen Massey, CC BY-SA 3.0 by Tamba52, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Doreen_Massey.jpg
Géographie des sexualités
Elle s’articule à d’autres champs, notamment celui de la géographie des sexualités : c’est ce que font Gill Valentine et Marianne Blidon en étudiant les pratiques spatiales des gays et des lesbiennes.

Marianne Blidon, Par Ji-Elle — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=110632189
Une géographie intersectionnelle
Elle est souvent intersectionnelle en croisant le genre avec d’autres formes de discriminations.
Patricia Daley : personnalité d’origine africaine ou afro-caribéenne considérée comme parmi les plus influentes au Royaume-Uni depuis 2021 (Powerlist), elle est spécialiste des conflits dans la région des Grands Lacs et étudie les rapports de genre, de race et d’ethnicité.
Camille Schmoll : géographe française critique et féministe, elle est spécialiste des dynamiques migratoires, transnationales, féminines et circulaires dans l’espace de la Méditerranée et elle étudie tout particulièrement les spécificités des migrations des femmes et les violences de genre dans son ouvrage “Les damnées de la mer” (2020).

Camille Schmoll, Par Ji-Elle — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=123689176
Multiplicité d’approches méthodologiques
Elle témoigne d’une multiplicité d’approches, qualitatives (entretiens, observations) mais aussi cartographiques et quantitatives (statistiques, analyse des données géolocalisées).
Saraswati Raju : spécialiste des questions de genre, de postcolonialisme en géographie et de la place des femmes dans les villes indiennes, elle participe à la réalisation d’un atlas critique sur la production cartographique (1997). Elle reçoit dix ans plus tard le Janice Monk Service Award (2010) de l’American Association of Geographers.
Mei Po Kwan fait partie, avec Susan Hanson, Nadine Schuurman, Gerry Pratt et Marianna Pavlovskaya des géographes qui promeuvent les Systèmes d’information géographique (SIG) comme outils de la géographie féministe.
Dans les Suds comme dans les Nords
Elle porte sur les différentes régions du monde, sur les Nords mais aussi sur les Suds.

Gopa Samanta, est professeure de géographie à l’université de Burdwan (Bengale-occidental) et spécialiste des études de genre et du développement dans les petites villes en Inde. Elle a participé à de nombreux projets de recherche, dont un à l’IRD sur les relations et définitions urbain/rural en Inde.
Gopa Samanta, Commons, CC0 1.0 by Daryaana
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gopa_Samanta_Geographer.jpg
Kuntala Lahiri-Dutt est une spécialiste de la géographie sociale indienne, elle étudie et agit sur les questions d’empowerment des femmes y compris en tant que consultante pour des organismes tels que l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Une géographie appliquée au sein d’organisations internationales
Elle a des impacts en dehors de la recherche, puisque ces géographes s’engagent dans des projets de développement au sein d’organisations internationales (Kuntala Lahiri-Dutt au PNUE, PNUD, à l’ONU Femmes ou à la Banque mondiale) mais aussi par l’analyse critique de celles-ci :
Sarasvati Raju étudie la production de discours et les actions des institutions internationales et des ONG en faveur de l’empowerment des femmes et leurs paradoxes.
Patricia Daley est critique vis-à-vis de l’humanitarisme et des agences humanitaires, des organisations régionales et de la communauté internationale en général.
Les absentes
Cette impressionnante liste de géographes et de leurs réalisations n’empêche pas que nombre de géographes féministes manquent dans cette liste. Et pour cause : certaines des figures les plus importantes ne sont toujours pas admissibles. Pour le cas francophone on pourra citer notamment les pionnières canadiennes Damaris Rose, Anne Gilbert et Lyse Pelletier, les Françaises Claire Hancock et Nadine Cattan ou encore la Suisse Karine Duplan. En dehors de cette sphère, on peut aussi mentionner l’Iranienne Fazileh Dadvar-Khani ou encore la Hongroise Judit Timár.
Leur absence tient aussi à d’autres biais (notamment liés à nos compétences linguistiques mais aussi aux inégalités qui traversent la science mondiale) qui font que les personnalités qui ne sont pas britanniques, états-uniennes ou françaises sont sous-représentées, et ce malgré une production essentielle qui existe aussi dans le reste du monde. Pour preuve les pionnières du champ parmi lesquelles on compte l’espagnole Maria Dolors García Ramón et la portugaise Isabel Margarida André ; ou encore les pages de géographes indiennes (Kuntala Lahiri-Dutt et Gopa Samanta) ou hongkongaise (Mei-Po Kwan) qui mettent en avant les recherches féministes depuis des espaces hors Occident. Mais il faut souligner le fait qu’il s’agisse d’espaces anglophones et que ces géographes présentes sur Wikipédia sont souvent formées ou ont exercé dans des institutions étatsuniennes, britanniques ou australiennes.
Reste à créer les pages et les sources sur celles qui manquent !

Maria Dolors García Ramón, Par Pymouss — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=51980686
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